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BRUIT NOIR « IV/III »

(15/09/2023 – Ici d’ailleurs / L’Autre Distribution)

Le nouveau Bruit Noir est encore pire donc encore mieux que les deux premiers. Voire que les trois premiers, mais ça on ne saura jamais car ils sont directement passés à l’album « IV/III ». Comme si Pascal Bouaziz et Jean-Michel Pirès voulaient d’entrée de jeu écarter l’idée de « dernier album » après s’être échappés de Mendelson. Des punchlines un cran au-dessus des rappeurs quitte à les prendre dans leur propre tronche (« Daniel [Darc] c’était une cathédrale, toi t’es qu’un putain d’Algeco » – Béatrice), eux qui se sentent « vieux-vieux-vieux » (Coup d’état), un climax qui s’appelle Tourette, l’envie de choquer certes mais aussi dans le bon sens du terme (édifiant Le visiteur), des instrus abrasifs où vient s’écorcher le fakir Bouaziz… Et plus il s’agite, plus il se fait mal et nous fait du bien, dans la méchanceté (ArtistesChanteur engagéCalme ta joie) ou dans une certaine émotion (Petit PrinceCommuniste), mais crue, à vif, sans le moindre couvercle du sur-moi sur ce moteur à plein régime de fiel, de tendresse et de mauvaise foi. « C’est parti pour l’album de trop » (et tant mieux).

ADÉLYS « Toutes les fenêtres et les ruisseaux »

(01/09/2023 – 3C / NMAS / Absilone / Baco Records)

Adélys c’est « la fille en jaune », qui sur son premier album s’attache à faire entendre une voix au féminin sur un format chanson-électro énergique ou plus intimiste, à dresser des ponts entre la ville et la nature, entre sa Normandie natale et Bruxelles ou Montréal qu’elle affectionne. C’est d’ailleurs au Québec qu’elle a rencontré la française Mell qui a co-produit ce disque, tentant d’y faire passer la liberté de mouvement que se donne l’artiste sur scène, espace qu’elle occupe avec conviction. Une parole féminine (Ton corpsL’araignéeOttawa Chambre 703La montée des eaux…), des grands espaces (Tornetrask) même au cœur de la ville (Bruxelles les voilesComme un arbre…), des idées plein Les tiroirs, une conscience en phase avec l’époque (Ecoutez le nord) : Adélys va en embarquer plus d’un avec son énergie communicative. 

XAVIER PLUMAS « Rose-amère »

(26/05/2023 – La Lézarde / L’Autre Distribution)

Le leader de Tue-Loup continue de collaborer avec le bassiste franco-malgache de sa formation d’origine Eric Doboka, invitant même des membres de ses autres groupes, Berikely & Zama et March Mallow, où figure sa nièce Astrid Veigne et sa voix gorgée de soul (déjà entendue aux côtés des sarthois). Avec également le pianiste Christian d’Asfeld et le saxophoniste Cédric Thimon, ils ont enregistré totalement en live, dans un esprit jazz 70s. En résulte une liberté, une joie même, un soleil presque qu’on ressent dès le premier single Sous un ciel bleu. Xavier Plumas est au sommet de son art, comme en témoigne par le saisissant Frais comme la langue, très représentatif de son écriture singulière. Mais il emprunte aussi parfois les mots des autres : ceux de René Daumal dont le livre Rose-amère donne son titre à l’album, ceux de William Blake sur The Tyger (en anglais), et ceux de la peintre antillaise qui a offert son beau visuel à l’album, Agnès Paspire, sur Moi pas parler. Elle lui a offert aussi l’inspiration, celle du titre miroir et second single Toi parler, agréable preuve que la plume alerte de Plumas peut aussi exceller sur des accords majors et des ambiances plus légères qu’à l’accoutumée. En douceur et mieux que jamais, Xavier Plumas nous fait voyager bien au-delà de nous-mêmes…

ANTOINE HÉNAUT « Album 46 »

(19/05/2023 – 30 février / PIAS)

De la chanson si bien écrite qu’elle peut se permettre d’être pas-electro-du-tout (Les gens qui vivent trop longtemps), rock seulement quand c’est l’idée (Chanteur amateur), chaloupée à l’occasion (Jour sang), un peu reggae parfois (Mes parents rock’n’roll, À l’imperfection), délicieusement ternaire souvent (Michel et Océane, Le Syndrome de Stockholm, Sans toit). Le belge excelle dans les exercices de style faussement faciles, comme la brève pochade Olé ! (sûrement pensée pour la scène où sa réputation le précède) ou la poilante et maligne mise en abyme Pop en l’air. Si son 3e album est marqué par la paternité et ce qu’elle implique pour les parents (Entre nous) comme pour les enfants (J’ai pas demandé), Antoine Hénaut ne s’est pas replié sur lui-même et n’a rien perdu de son goût pour les autres. C’est parce qu’il aime les gens qu’il sait comme personne dresser des portraits, ne laissant personne sur la touche. De la tendresse et du brio.

FREDDA « Phosphène »

(12/05/2023 – Microcultures / Kuroneko)

Si c’est plus qu’une brise légère qui a inspiré Vent diable le premier extrait de cet album, c’est un vent de liberté qui souffle sur ce nouveau disque, enregistré avec le complice habituel Pascal Parisot, mais aussi le renfort de la bande de Matt Low (The Delano Orchestra, Murat…). L’écriture et la voix de Fredda sont plus lumineuses que jamais (Nordique Ophélique, Long…), les mélodies s’immiscent vite (Viens avec moi, Dorveille…) : comme une Phosphène sous des paupières fermées, chaque nouvelle chanson laisse une trace aux couleurs subtiles.

JÉRÔME MINIÈRE « Détour » EP

(05/05/2023 – Objet Disque / Kuroneko)

C’est au texte de la chanson Détour que le franco-québécois avait emprunté le titre de son album paru à la fin de l’été, La mélodie, le fleuve et la nuit. Minière s’amuse ici à proposer une convaincante version alternative de la chanson, groovy et nonchalente, puis la revisite en mode électro déstructurée avec les chœurs de sa fille Fé, et conclut par une version instrumentale où le piano et l’évidence mélodique nous emportent en douceur vers de chaudes nuits d’été…

VIOLETT PI « Baloney Suicide »

(21/04/2023 – L-A be / Horizon Music / Sony)

Après 6 ou 7 ans d’absence durant lesquels il a tourné avec sa compagne Klô Pelgag et publié un recueil de poésies un peu trash dont il a repris le nom pour son troisième album, le québécois VioleTT Pi est de retour. Baloney Suicide se place sous une sainte trinité pour le moins surprenante qui réunirait Mr Bungle, Nirvana et Gilles Deleuze ! Un premier single très pop (Celui qui attend), mais en forme de fausse piste : la folie n’est jamais loin (Bipolaire, Jeté au monde comme un trophée…), comme la souffrance qui oblige pourtant à s’accepter comme on est (Aubade Juvénile, Pollen Saturnien). Musicalement, chaque chanson est souvent un échafaudage vertigineux car VioleTT Pi n’aime poser des repères que pour les faire exploser (Butane). On sort un peu secoué mais grandi de cette exploration avec lui d’un « suicide pour de faux », un peu plus vivant aussi : « je vois des lueurs dans le noir infini« …

GONTARD « 2032 »

(21/04/2023 – Petrol Chips / Inouïe Distribution)

Après son dernier album Akene qui nous renvoyait dans la parenthèse presque insouciante du tournant 75/85, le valentinois donne comme prévu une suite à son uchronie 2029. Un avenir où deux sociétés distinctes se mettent en place : d’une part le régime officiel géré par la nouvelle noblesse et ses droïdes, d’autre part la Communauté du Nord, zone tolérée, constituée d’agriculteurs, scientifiques, poètes, garçons et filles de joie. Voici le nouvel épisode du western social où Gontard et le narrateur-miroir Akène Guetno nous entrainent dans leur parcours, ambiance corde et potence (Ce qui restera de nous), Ballades mélancoliques (Juste quelques flocons qui tombent, Allonsanfan…) et remises à jour 2.0(32) du rocksteady (Seul le croque-mort a pleuré) ou de sonorités et ambiances un peu indiennes / un peu hippies (La nuit disparue, Krishna 2032). Horizon musical élargi donc, mais toujours au service du propos, journalisme social et critique d’un monde d’après, où restera l’espoir de faire Reset

TARA KING TH. « Конец (La Fin) »

(21/04/2023 – Petrol Chips / Inouïe Distribution)

Complice de Gontard à la production ou aux claviers, Ray Bornéo met fin avec ce disque à 20 années d’un parcours chaotique mais passionnant, celui de son désormais one man band Tara King Th. Avec Erik Stefanini (déjà co-auteur de Fantaisies Stellaires), il a écrit l’histoire d’une jeune femme, Yelena, qui part seule pour un long périple vers l’inconnu au coeur de l’immensité Russe, à la recherche d’un peuple mystérieux et ancestral du Kamchatka qui pourrait la sauver, elle et ses proches, d’une terrible menace. Macha a traduit en russe les textes de cet album et se les est appropriés pour retranscrire et incarner parfaitement les différentes facettes du personnage principal, tantôt douce et fragile, tantôt farouche et déterminée. Appuyé par la chorale de poche de la jeune Zel (également signée chez Petrol Chips), les sons synthétiques inventifs, les orchestrations ultra-baroque et la dextérité mélodique de Tara King Th. nous entrainent dans une sorte d’opéra-indé sans équivalent. À qui aurait peur de se frotter à la langue d’un vilain dictateur, on rappellera qu’il n’est rien face à l’immensité de ce pays qu’on visite ici par l’imagination, de La traversée du Kamtchatka (Переход Камчатки) à l’implacable force de Одержимые Тундрой (Les Possédés de la Toundra) en passant par la fascinante beauté de Балет падающих листьев (Le Ballet de feuilles mortes).

MATT ELLIOTT « The End of Days »

(31/03/2023 – Ici d’ailleurs / L’Autre Distribution)

Depuis les sons électroniques torturés de son projet d’origine The Third Eye Foundation, entamé à Bristol au milieu des années 90, jusqu’aux prestations solo épurées avec une simple guitare classique et sa voix profonde, qui l’amènent à jouer dans toute l’Europe, Matt Elliott a dessiné un parcours aussi singulier qu’admirable. Ce chemin n’est pas qu’une quête d’épure pour le désormais franco-britannique installé de longue date à Nancy (brexit oblige, il a demandé et obtenu sa nationalité). Il s’est mis au saxophone, mais qui l’a vu sur scène sait déjà qu’il n’a en rien altéré la saisissante beauté de ses créations, au contraire : aidé par la contrebasse de Jeff Hallam, la production de David Chalmin et son piano (joué sur scène par Barbara Dang), Matt a trouvé un vecteur supplémentaire pour faire passer l’émotion. Après January’s Song distillée au milieu de l’hiver pour en traduire la froide beauté, on découvre les tentations presque orchestrales de longues pièces pour qui les formats importent peu, jusqu’aux nuances d’Unresolved témoignant du chanteur accompli qu’il peut désormais assumer d’être. Matt Elliott chante cet espace infime, cet entredeux entre la joie intense et le chagrin absolu, cette frontière entre l’indicible et le partagé…